#1 2020-01-14 20:48:26

cocotte
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Le festin des oiseaux

Le festin des oiseaux

HIVER De nombreux Français installent des boules de graisse et des nichoirs dans leur jardin. C’est bon pour la biodiversité et le moral


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Les filets autour des boules de graisse peuvent blesser les volatiles qui risquent de se prendre les pattes dedans.


Une maison miniature perchée à 1,50 mètre du sol, au seuil de laquelle s’étalent cacahuètes et maïs concassé ; une spirale remplie de boules de graisse suspendues à un arbre ; un petit distributeur en plastique qui libère à la demande des graines de tournesol. Chaque hiver, des mangeoires toujours plus innovantes poussent dans les jardins et sur les balcons. Même si le nourrissage des oiseaux sauvages n’est pas un sport national comme au Royaume-Uni, le pays des bird lovers, les Français semblent y trouver un moyen de réagir au déclin brutal des populations de volatiles.

Grégoire Loïs a été un pionnier dans l’Hexagone. Entre l’âge de 10 et 15 ans, il a passé ses journées à braquer un télescope sur une mangeoire. « La pratique était alors peu en vogue », se rappelle celui qui est devenu ornithologue* au Muséum national d’histoire naturelle à Paris et qui voit d’un bon œil les Français se tapir derrière les carreaux pour observer les allées et venues autour des boules de gras. « Cette activité de plus en plus populaire est utile en période de grand froid, explique Nicolas Macaire, animateur de la branche Refuges de la Ligue de protection des oiseaux (LPO). Les oiseaux ont besoin de compenser la perte d’énergie qu’ils utilisent pour maintenir leur température corporelle autour de 41 °C. »

En recouvrant les sources de nourriture, la neige ou le gel peuvent mettre en danger mésanges et moineaux. L’apport supplémentaire s’avère précieux – pour peu qu’on n’improvise pas. L’hygiène est capitale, de même que le choix du lieu, à bonne distance des prédateurs. « Il faut aussi éviter de cuisiner pour les oiseaux des choses qu’on invente », soupire Nicolas Macaire, qui sensibilise le grand public au sujet. Graines de millet, de tournesol noir, maïs concassé, cacahuètes non salées : mieux vaut contrôler le régime et cibler précisément les achats dans le commerce. Car la demande sociale autour du nourrissage des oiseaux s’est accompagnée d’un vrai business, pas toujours adapté. Écueil le plus répandu : les filets de nylon vert qui entourent les boules de graisse. « De véritables pièges pour les oiseaux, qui peuvent se prendre les pattes dedans », alerte Nicolas Macaire.

Dans les années 1970, le magazine britannique Birds hébergeait des réclames pour une dizaine de produits liés à la nutrition. En 2005, les publicités étaient près de 120, souligne une étude parue dans la revue Nature en mai dernier. Le boom du nourrissage au Royaume-Uni, où 50 à 70 % des foyers sont équipés pour accueillir des oiseaux, a d’ores et déjà modifié leur comportement, selon ces scientifiques, qui relèvent une augmentation de la fréquentation des mangeoires et une plus grande diversité des espèces observées à leurs abords. La passion des Britanniques pour les petites bêtes à plumes aura même laissé des traces dans l’ADN de ces dernières. En 2017, un article publié dans la revue Science mettait au jour une différence génétique chez les mésanges britanniques, qui présentent un bec plus long que leurs congénères des Pays-Bas, contrée où l’on force moins sur les boules de graisse. Une adaptation d’autant plus spectaculaire qu’elle s’est produite dans un laps de temps très court, à peine quarante ans.

Mieux vaut contrôler le régime et cibler précisément les achats de graines dans le commerce

Faudrait-il lever le pied sur le nourrissage, pour éviter d’induire d’importants changements chez les oiseaux ? Une crainte hors de propos, selon Grégoire Loïs. « Que les espèces s’adaptent et tirent parti d’une nouvelle ressource qui améliore leur forme, s’amuse-t-il, c’est l’histoire de la vie depuis trois milliards d’années. » À l’en croire, les volatiles s’en tireraient d’ailleurs très bien sans nos petites mangeoires, dont l’impact sur la survie de l’espèce est minime. Pour eux, le bénéfice est en fait indirect : « C’est notre comportement à nous qui est affecté par ce spectacle, précise l’ornithologue. On a l’occasion de voir des scènes de vie sauvage extraordinaires. L’empathie que l’on développe alors est capitale pour l’avenir de notre planète. » Par ricochet, notre regard sur les causes du déclin de la faune – l’agriculture intensive, l’artificialisation des sols, les pesticides – s’aiguise, et nous imaginons des solutions pour l’enrayer.

Ce regain de conscience écologique est aussi bénéfique pour nous car les volatiles représentent souvent notre lien le plus direct à la nature. « Les oiseaux, c’est la vie sauvage à portée de regard, tout le temps et partout, alors que les mammifères, les reptiles ou les poissons sont bien plus discrets, s’enthousiasme Grégoire Loïs. C’est un antidépresseur gratuit. »

* « Ce que les oiseaux ont à nous dire » (Fayard). ■

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